Vendredi
Monolord
Alors que beaucoup de fans sont encore coincés aux pieds de la cathédrale, la fameuse entrée du Hellfest, Monolord fait fi des contrôles de sécurité et ouvre le festival au son d’un solide d’un stoner/doom qui ne passerait pas les tests salivaires. Les Suédois tiennent le pari risqué de leur style : rendre planante une musique foncièrement lourde. Après tout, on arrive bien à faire voler des bombardiers de plusieurs dizaines de tonnes…
Heureusement, Monolord préfère les pédales de fuzz et de flanger aux bombes à sous-munitions, le public se sort bien du tapis de riffs. On a d’ailleurs droit à une super interprétation d’Empress Rising, le titre éponyme qui ouvre leur premier album en 2014. Le concert ne s’éternise pas, seulement trente minutes pour les premiers groupes, mais annonce une très bonne cuvée pour la scène Valley.
Moonreich
La scène Temple n’est pas du genre à y aller mollo, trois spots en forme de croix inversées l’illuminent cette année encore comme des lampes à UV sataniques. Les Français de Moonreich inaugurent le chapiteau impie avec un chanteur aux faux airs de Ghaal et des musiciens grimés, le visage barré d’un bandana cradingue.
Dans ce créneau horaire ingrat, où rien ne garantit que les amateurs du groupe aient eu le temps de franchir le fastidieux dispositif de sécurité, les black metalleux parisiens déroulent un set puissant en bons soldats de l’aller-retour triomphant. L’alternance des passages blastés avec des moments plus atmosphériques ou black’n’roll permet une gestion appréciable de l’intensité. Si le terme n’était pas aussi éculé, on louerait avant tout l’efficacité de la prestation.
Stoned Jesus
La Valley se remplit enfin vraiment alors qu’assez de festivaliers ont rejoint la terre promise. Les Ukrainiens de Stoned Jesus sont venus prouver que leur pays ne produit pas que du black metal pour crânes rasés, et ils ont amené de sacrés arguments avec eux. Ils proposent un stoner-doom bien plus doux que celui de Monolord, le bon accueil de la foule montre que ça plaît au moins tout autant. Igor, le frontman, en profite pour dire tout son bonheur de passer sur la scène après des années dans le public du Hellfest.
Le son est nickel, la prestation aussi. Petit instant de confusion, un des membres de Stoned Jesus a apparemment jeté ses chaussures dans l’assistance à la fin du concert. C’est moins glamour que la culotte de Madonna, mais peut-être avait-il cru reconnaître George W. Bush dans l’amas de chevelus.
Cruachan
Retour sous la Temple pour le premier groupe à tendance pagan du festival, un style très représenté cette année. Les Irlandais de Cruachan tournent depuis bien avant l’engouement actuel pour cette scène, et viennent faire valoir leur statut de vétéran.
Hélas, ils sont touchés dès le début par un problème récurrent chez ce genre de groupe : les guitares électriques bouffent les instruments folkloriques. Tant pis pour les violons et les flûtes, il ne reste que des riffs au galop épique, mais forcément un peu plats puisqu’ils sont censés accompagner des mélodies devenues inaudibles.
L’énergie de la prestation suffit à faire bouger les têtes et provoquer de joyeux tapements de pieds, mais on comprend aussi que l’on rate toute une partie de la musique. Fiers de leur héritage irlandais, les membres de Cruachan ne se privent pas de rappeler que leurs ancêtres ont bouté les Vikings hors de leur île. Pour une fois qu’un groupe pagan ne fait pas dans scandinavophilie aveugle…
Ramesses
Avec un son aussi lourd et dense sur album, il y a de quoi appréhender les passages scéniques de Ramesses. Tenant d’une des lignes plus extrêmes du doom, le groupe sera effectivement desservi par un son brouillon et poisseux. Reste à savoir si, vu le style des Anglais, c’est vraiment une mauvaise chose.
La batterie claque sec et structure le bordel ambiant, elle finit par nous entraîner dans la musique même quand on ne comprend plus trop bien les riffs. La diversité vocale du chanteur et la prestation du batteur nous plongent dans les abysses, allant du doom à des passages qui évoquent les morceaux les plus lourds de Morbid Angel.
Le public reste calme et peu expressif, jusqu’à ce que Baptism of the Walking Dead vienne leur secouer les puces. On en ressort convaincu malgré les réserves initiales sur le son.
Behexen
La légende veut que chaque fois qu’un membre de Behexen prononce le mot Satan, des diablotins apparaissent et tournent encore un peu plus leurs potards de gains vers la droite. On soupçonne également les gratteux de paraphraser Spinal Tap et de lancer des « these go to 666 » quand ils règlent leur matos. Le chanteur assure cependant une très bonne prestation, ce qui tombe bien puisqu’on ne discerne que lui.
Ce pilier du black metal finlandais avait pourtant amélioré la prod de ses albums au fil des ans, tout ça pour sonner moins bien sur scène que sur leurs démos. Rien de tout cela ne semble gêner le public, qui apprécie visiblement le concert. Il est peut-être aidé par la fameuse technique du play-back mental, qui permet, si l’on a assez écouté la version album, de reconnaître n’importe quelle bouillie sonore mixée pour être entendue à l’extérieur du fest. Tout s’éclaircit quand même lors des passages plus lents, pas bien nombreux, et on se surprend à enfin apprécier la musique, ce qui confirme l’ampleur du gâchis.
Kampfar
Une grosse intro fait trembler la scène Temple, jusqu’à ce que les cris du public prennent le relai à l’arrivée de Kampfar. Tenants d’une ligne épique et propice au headbang de masse, les black metalleux norvégiens étaient visiblement attendus. Les pieds ne bougent pas, mais les têtes tournent et hochent à la cadence héroïque de leur musique.
Dolk, le chanteur, en profite pour annoncer qu’il avait été hospitalisé juste une semaine avant, et qu’il est bien content d’avoir rassemblé assez de forces pour jouer devant nous. Sa prestation des plus convaincantes nous confirmait de toute manière déjà à quel point il est motivé. Il harangue la foule à répétition et communique son énergie en adéquation avec la force de persuasion de sa musique.
Earth
Peu de groupes peuvent se vanter de me pousser à manquer tout un concert de Turbonegro, Earth en fait partie. Le public ne partage pas forcément cet avis puisqu’il est loin de remplir la Valley, mais les fans présents trépignent. La bande à Dylan Carlson commence par honorer son dernier album, Primitive and Deadly, avec la chanson d’ouverture Torn by the Fox of the Crescent Moon. Tout en palm-mutes et en larsens, ils captent la foule avec l’expérience de francs-tireurs tapis à la lisière du drone, du doom et du folk américain.
La suite du set est composée de morceaux de leur période précédente, une musique plus atmosphérique qui évoque la traversée psychédélique d’un désert, comme une seconde bande-son pour El Topo ou Dead Man. Une superbe interprétation de The Bees Made Honey in the Lion’s Skull rappelle pourquoi ce style est devenu le cœur de leur discographie.
Earth dévoile au passage une nouvelle chanson sans titre, privilège de la musique instrumentale, qui signe un retour à cette veine « désertique ». L’absence de chant soulage, vu que les featurings du dernier album n’étaient pas très réussis. Earth gagne effectivement à jouer ainsi, avec moins de disto et de larsen qu’un groupe de doom, même si ça pourrait sembler blasphématoire au Hellfest,
Inquisition
Les intros et les bassistes, c’est pour les faibles. Le duo de black metal Inquisition ne perd pas le nord et prouve que, quand on a grandi en Colombie, on a tendance à voir la violence et le satanisme de manière un peu plus crue et directe. Le timbre monocorde de Dagon révèle tout son potentiel hypnotique sur scène, il rythme l’alternance des merveilleux arpèges maléfiques et des riffs les plus bourrins.
Absolument pas gêné par sa solitude, il envoie autant de lourd seul que deux gratteux et un bassiste réunis, tandis que le batteur mouline férocement à l’arrière de la scène. Ce choix a l’avantage de nettement clarifier le son live et la maîtrise générale fait que les pains, qui sauteraient alors vite aux oreilles, ne viennent pas gâcher l’écoute. Inquisition conclut avec Infinite Interstellar Genocide un set violent et fascinant, bien supérieur à leur concert de 2013.
Magma
Merveilleux faux intrus de cette édition du Hellfest, Magma est accueilli par un public qui a visiblement bien révisé ses classiques. Le fleuron historique du rock-jazz-prog français montre que son regain d’activité ces dernières années n’a rien d’un come-back malheureux. La musique de Magma construit un interlude bienvenu, un moment de douce folie contagieuse où chœurs et instrus transportent le public.
Sunn O)))
Le terme d’easy listening n’a clairement pas été inventé pour Sunn et, même dans le cadre du Hellfest, peu de groupes sont aussi clivants. Personnellement très friand des rois du drone metal, je me suis précipité dans la Valley où pas mal de fans attendaient assis. Niveau mosh-pit, mieux vaut chercher ailleurs, Sunn s’apprécie différemment. Certaines postures et attitudes confirment au passage que les amateurs du groupe excellent dans l’introduction de substances illicites dans le festival.
Un concert Sunn, ça dure une heure, le seul morceau est improvisé et on en prend plein la gueule. Certains se plaignent que l’immense bourdon fasse résonner leur corps tout entier, qu’on entre dans un territoire proche de la dislocation sonique, d’autres s’en réjouissent. La vibration est accompagnée du chant presque chamanique d’Attila, sans qui la musique risquerait de se réduire à une simple démonstration de maîtrise des fréquences à deux chiffres.
D’après d’autres personnes présentes dans la Valley, Attila aurait arboré une très belle parure cristalline vers le milieu du set. Cependant, la position fœtale adoptée par votre serviteur ne lui a pas permis de le constater. 10/10, would sonically crush my bowels again.
The Offspring
Quand j’approche des mainstages, c’est en général pour un petit plaisir coupable. Cela tombe bien, la setlist de the Offspring a parfaitement intégré cette composante nostalgique et se concentre principalement sur les albums des années 90 : Smash, Americana et un peu d’Ixnay on the Hombre. The Kids Aren’t Alright, Pretty Fly (for a White Guy), Self Esteem, Come Out and Play: le fan-service est assuré.
Dexter Holland et Noodles font plaisir à leur public, ils ne jouent rien qui date d’après 2003 et se moquent d’ignorer complètement les deux albums sortis depuis. Les spectateurs dansent, sautent, chantent et c’est tout ce que les Californiens demandent. La cinquantaine n’a pas entamé leur enthousiasme communicatif ni rouillé les trucks du punk à roulettes.
Samedi
Myrkur
Petite robe noire et BC Rich Beast assortie, Myrkur, la dame, fait forte impression pour le premier concert de la journée : Myrkur, le groupe. Son premier album sorti l’an dernier, M, avait pas mal divisé le public, sous la double accusation de sonner trop propret pour recevoir l’AOC black metal et de trop se reposer sur l’originalité de sa frontwoman.
Mais là où ses comparses scandinaves, Runhild Gammelsæter et Kari Rueslåtten en tête, avaient marqué certains albums cultes par leur chant, Myrkur, la dame, s’occupe également de la composition. Elle n’est pas le « truc en plus en plus » qui fait la différence, elle est le cœur de Myrkur, le groupe.
Sur scène, il faut bien constater que la musique sonne plus âpre et crade, ce qui représente en fait une nette amélioration par rapport à ses enregistrements studio trop éthérés. L’enchaînement a capella, puis vocalises, puis gros cri, pourrait finir par lasser, mais la prestation est bien tenue.
Très à l’aise sur scène, Myrkur, la dame, lâche parfois sa guitare pour siréner devant une audience conquise avant de se montrer plus menaçante. Elle portera un toast au public qui sera suivi par un des « skål ! » les plus tonitruants de mémoire de Hellfest. On attend le second album avec impatience pour vérifier l’impact de l’expérience de la scène sur sa musique.
Dark Fortress
S’il fallait inventer un style musical pour Dark Fortress, on pourrait parler de cervical black metal tant le public headbang. Les Bavarois livrent un concert plein de mid-tempos efficaces et puissants, qui culmine avec I am the Jigsaw of a Mad God. On aura quand même un peu de peine pour le claviériste, dont aucune note ne percera d’entre les guitares.
Le chanteur tente sa chance dans un effort de français et se démarque du classique « bonjour, merci les amis ». La prestation est efficace, même en plein jour. De quoi nous réconcilier avec le black metal mélodique allemand, qui verse trop souvent dans le goth larmoyant.
Fleshgod Apocalypse
Grosse intro qui tue, énorme backdrop avec un portrait royal, costumes chiadés, Fleshgod Apocalypse vient tout détruire devant un public très impatient et réceptif. Cependant, le souverain déployé sur tout le fond de la scène et sur la jaquette de leur dernier album n’a jamais existé. Malgré ses faux-airs de Michael Lonsdale, c’est du chiqué et c’est hélas cette impression qui se dégage du concert.
Les amplis crachent un son horrible, la batterie claque nette seulement parce qu’elle est si triggée que les presets semblent avoir été piqués à Kraftwerk, un comble pour un groupe qui cherche à sonner « symphonique ». Les Italiens tombent dans une des plus graves facilités du metal extrême : laisser une batterie au son artificiel se charger seule de l’intensité de la musique.
Le son va cependant finir par s’améliorer, pour dévoiler des riffs pas toujours inspirés. Pour la chanteuse lyrique, point d’espoir par contre, elle a dû larguer l’ingé son juste avant de monter sur scène parce qu’il a visiblement une féroce dent contre elle. Vu ma piètre opinion de l’obsession de certaines franges du metal pour l’opéra, ce n’est pas un drame. Il faut quand même bien constater que le public ne partage pas du tout cet avis et apprécie manifestement le concert, au point que les fans débordent jusqu’en dehors du chapiteau.
With the Dead
Qui a dit que le doom était un genre moins violent que ses cousins extrêmes ? Le nouveau groupe du légendaire Lee Dorian déroule une musique lourde et agressive, très bien incarnée par Living with the Dead. Le vétéran s’est entouré de la crème de son label Rise Above Records, avec des anciens membres d’Electric Wizard, Cathedral et Ramesses.
Dorian scande littéralement les paroles, son chant claque avec la précision et la régularité de la caisse claire. Derrière, les riffs tissent un tapis hypnotique qui tire presque sur le sludge. La prestation est top, bien qu’en dessous de leur passage dantesque au Roadburn au mois d’avril.
Moonsorrow
A-t-on vraiment besoin d’un programme pour savoir si le prochain groupe de la Temple joue dans une veine pagan/épique ou black metal pur jus ? Le public acclame Moonsorrow et frappe dans ses mains bien avant que les Finlandais ne foulent la scène. Une fois arrivés, les comparses montrent rapidement l’étendue de leur maîtrise du style.
La dimension épique et l’intensité de leur musique se maintiennent harmonieusement tandis que le groupe navigue dans les différentes phases de sa riche discographie. Une forêt de cornes de bouc se dresse devant les musiciens qui assurent un show avec un très bon son et une super ambiance.
Sunden Tunti, tiré du nouvel album, permet à chacun de poursuivre son programme de musculation de la nuque par le headbang. Moonsorrow, où la méthode Lafay adaptée aux cervicales. Le groupe annonce ensuite une dernière chanson ce qui, vu leur durée moyenne, n’inquiète pas trop le public.
Primordial
Grands habitués du Hellfest et autres maîtres du metal extrême à tendance folklorique, Primordial investit la scène Temple encore marquée, une heure après, par le passage de Moonsorrow. Certains diront que ce concert n’a jamais eu lieu puisque The Coffin Ships n’a pas été joué, chose inconcevable pour une prestation des Irlandais.
La set-list est en fait strictement focalisée sur les trois derniers albums : Where Greater Men Have Fallen, Redemption at the Puritan’s Hand et To the Nameless Dead. Est-ce un problème ? Absolument pas. Nemtheanga reste un des tout meilleurs frontmen en corpsepaint et les concerts de Primordial sont parfaitement tenus.
Ça chante, ça scande, on reprend tous ensemble « Sing to the slaves ! » sur l’hymne As Rome Burns. Primordial maintient la ligne qui a bâti son succès : une musique épique mais toujours profondément grave. Sa manière unique d’entraîner le public avec lui ne prend jamais l’allure d’une gigue bourrée de fin de soirée, mais plutôt d’un digne recueillement le poing tendu.
Dark Funeral
Quel meilleur moment pour invoquer Lucifer qu’après un énorme feu d’artifice ? Le soufre des fusées redescend sur le festival et Dark Funeral balance sa purée blasphématoire. Ça va vite et ça tape très fort, comme l’ont prouvé les interprétations de The Arrival of Satan’s Empire ou de Secrets of the Black Arts.
Le son n’est pas tout à fait à la hauteur, ce qui pose problème avec une musique aussi rapide et violente que le brutal black metal de Dark Fu. On apprendra cependant une belle leçon : on n’a pas besoin de distinguer tous les doigts d’une grosse paluche suédoise pour en ressentir la baffe. La fureur perce au-delà de la clarté et le public prend son pied.
Dimanche
Hegemon
Le dimanche matin, le créneau le plus ingrat de tout le Hellfest. Les festivaliers, perclus de gueules de bois et de fatigue cumulée, ne se réunissent qu’en foule clairsemée. Hegemon parvient quand même à capter l’attention de quelques motivés. Leur version plutôt épique du black metal convainc le petit public, rien de dingue à signaler mais une bonne prestation sur By this, I Conquer. Tout comme les festivaliers se réveillent petit à petit, le concert gagne progressivement en qualité et termine en beauté sur une chanson du dernier album des Français : The Hierarch.
Stille Volk
Bien avant que l’engouement folk/traditionnel ne se développe dans la scène, Stille Volk a su s’y frayer un chemin sans céder aux guitares électriques. Rattaché au monde du metal par son esprit et ses liens avec Holy Records, le groupe pyrénéen sort vielles à roue et psaltérions pour un set chargé en compositions et en reprises d’airs traditionnels.
Le courant passe nickel avec le public qui remue la tête malgré l’absence de saturation. Ai Vist Lo Lop, également au répertoire d’In Extremo et de la moitié des groupes médiévalisants de la planète, rencontre un vif succès. Le concert se termine sur le Banquet, hymne bachique accueilli sous les bravos et les gigues improvisées dans le public.
Skálmöld
Jumpy à souhait et avides de mélodies niaises, on ne sait pas trop où les Islandais se placent dans l’arbre du folk metal, juste qu’ils sont assis sur une branche qu’on aimerait bien scier. Le public ne partage manifestement pas cette intransigeance et profite à fond du show. À vrai dire, en trois jours, on n’a en fait jamais vu la foule exprimer d’hostilité au moindre groupe.
Le style insupporte, mais le son et la prestation restent à la hauteur du fort taux de remplissage de la Temple. On finit par se surprendre, un peu honteux, à taper du pied avant de se reprendre et de penser à des églises en feu et à des têtes de bouc.
King Dude
La Valley accueille encore un faux intrus en la présence de King Dude. L’Américain avait percé par son interprétation solitaire et américaine du Dark Folk (moins de runes et de panzers, plus de Wicca), mais est depuis passé à une formation complète toute électrique. Alors, une nouvelle controverse va-t-elle exploser comme après la prestation de Bob Dylan au Newport Folk Festival de 1965 ?
Eh bien non, la transition à l’électrique se déroule sans accrocs et le public profite d’un concert de qualité. Certaines chansons, comme Jesus in the Courtyard, subissent un lifting très réussi tandis que les nouvelles, dont Deal with the Devil, passent tout aussi bien.
Signe que la métamorphose du groupe est achevée, King Dude ne jouera pas Lucifer’s the Light of the World, pourtant le classique ultime de sa période Dark Folk. Il réclamera par contre qu’on lui serve du whiskey par entonnoir, histoire de dire que, quand même, le crooner destroy n’a pas complètement changé.
Mgła
Dans la marée des gens en noir qui traînent près de la scène Temple, le logo de Mgła se distinguait très régulièrement tout au long du festival. Malgré le rythme effréné de leurs tournées, les rois du black metal polonais n’ont toujours pas lassé leur public qui s’amasse religieusement sous le chapiteau. Un drapeau rouge et blanc surgit de la foule et le groupe entre, sans un mot ni une intro.
Further Down the Nest I, Mdlosci II, With Hearts Towards None I et VII, Exercises in Futility II, III et VI, les setlists de Mgła évoquent une loterie où tous les tirages sont gagnants. Le syndicat polonais des riffs parfaits enchaîne les morceaux dans une froideur absolue. Engoncés dans leurs perfectos et leur cagoule assortie, ils ne lâcheront pas un seul mot pour la foule, ils concèdent juste un rapide signe de cornes avant de quitter la scène. Ça tombe bien, on n’a pas envie de se faire répéter qu’on est le meilleur public du monde ou qu’on nous aime, on veut en prendre pleine la gueule et maudire l’humanité. Mission accomplie.
Taake
La scène Temple pourrait décidément servir de consulat de Norvège en Loire-Atlantique. Déjà foulée par trois formations du royaume scandinave, elle accueille à présent Taake et Hoest, son charismatique frontman. Le groupe balance ses riffs puissants dans la droite ligne du black metal épique des années 90 que Taake a profondément influencé au cours de sa carrière. Une putain d’interprétation de Vid I le confirme, on a rarement fait mieux que Taake dans le domaine. Le son est si bon que l’on n’en perd pas une miette, même quand le groupe dégaine un banjo pour le fameux Myr. Le public se lance à fond dans un déluge de headbang et de signes de cornes, sans cesse ravivé par un concert au top.
Enslaved
Le groupe célèbre ses 25 années de bons et loyaux services au département black/viking metal et annonce qu’il ne jouera que des vieux morceaux. Le superbe tournant des années 2000 n’est pas oublié pour autant, puisqu’on entendra un excellent Fusion of Sense and Earth qui ne date « que » de 2006. Enslaved exhibe ses qualités d’explorateur et de conquérant, toujours prêt à poser ses bottes sur des terres lointaines, prog ou folk, tout en gardant la fière violence de ses racines. Le groupe accoste avec succès et plante ses chansons comme autant de drapeaux de revendication de nouveaux territoires.
Avec un son de qualité, les passages mid-tempo provoquent bien des remous dans la marée de crânes plus ou moins chevelus. Les Norvégiens prennent le temps de dédier The Crossing, et son riff central à la rythmique dinguissime, à King Diamond, qualifié pour l’occasion de plus grand danois vivant (*tousse* Mads Mikkelsen *racle sa gorge* Nicolas Winding Refn *cough* Lars von Trier).
Le concert n’arrive pas encore à sa moitié quand l’appel de Black Sabbath m’en extirpe, avec juste le temps d’entendre au loin Enslaved entamer la Marseillaise. Il se passe décidément des choses bien étranges au Hellfest.
Black Sabbath
Il fallait bien Black Sabbath pour m’entraîner à nouveau vers les mainstages. Le Hellfest est assez coutumier des tournées d’adieu où les zickos risquent à chaque instant de claquer, mais celle-ci a une saveur particulière. Si les groupes légendaires ne manquent pas, le metal n’est cependant né que d’une seule bande qui s’apprête à tirer sa révérence devant nous.
Enfin, le concert commence par une longue vidéo d’intro, avec des graphismes dignes de la PS2 et une réalisation à la Uwe Boll, où un démon moche s’extirpe d’un cocon hideux. On prend peur quant à la teneur du show, puis les cloches de Black Sabbath résonnent pour le premier grand classique. Un infâme son de batterie, piqué à Lars Ulrich période Saint Anger, renforce la crainte avant de s’améliorer au fil du concert.
La musique dissipe rapidement l’inquiétude. Une foule sage, mais motivée, accueille une setlist qui se concentre sans surprise sur les premiers albums. Dirty Women, issu de Technical Ecstasy en 1976, sera au final la chanson la plus récente et personne ne se plaindra de ce focus sur les années 70-72.
Snowblind et War Pigs sont particulièrement réussies, des interprétations magistrales à faire oublier qu’il s’agit bien d’un concert d’adieu après presque 50 années de carrière. Tony Iommi, dont le diagnostic d’un lymphome a poussé le groupe vers la retraite, n’a pas besoin de mots pour rappeler qu’il a inventé le metal, sa guitare suffit.
Geezer Butler se lâche avec le super solo Bassically entre Beyond the Wall of Sleep et N.I.B. et prouve, bien que personne n’ait osé en douter, qu’il n’a rien perdu de sa fougue. Tommy Clufetos, qui remplace un Bill Ward fâché à mort avec Ozzy, se lance dans son propre solo de batterie, joue avec le public et compte bien ne pas avoir l’air d’un bouche-trou. Pour le claviériste Adam Wakeman, fils de Rick Wakeman de Yes, on ne constatera son existence qu’avec les présentations d’Ozzy.
Source de bien des craintes, ce dernier tient bien la route aux côtés de musiciens parfaitement rodés. Il a beau répéter un milliard de fois « I can’t hear you » (on prendra soin d’éviter la blague sur le sonotone) et s’être un peu loupé sur Iron Man, on l’a senti motivé et décidé à donner le meilleur de lui-même.
Le concert se termine avec Paranoid, un gros The End barre l’écran géant tandis que le public scande un mélange de « Tony ! » et de « Ozzy ! », sans qu’un camp ne l’emporte clairement. Les spectateurs sont de toute façon les vrais gagnants.
Deicide
Je ne sais pas si Deicide a joué sur la Temple pour des raisons pratiques ou par attrait pour les spots en forme de croix inversées, mais le symbole est fort. Peu de groupes de death metal ont eu autant de succès chez les fans de black que les satanistes de la baie de Tampa.
Le set est pas mal axé sur les albums Once Upon the Cross et Serpents of the Light, respectivement de 1995 et 1997, issus de l’âge d’or du death metal floridien. On a quand même le droit à un In the Minds of Evil, tiré du dernier album de 2013, pour nous rappeler que le groupe continue de pondre des disques. Les morceaux des années 90 sonnent bien évidemment le mieux (coucou When Satan Rules his World et They are the Children of the Underworld)
La voix de Glen Benton devient si caverneuse en live qu’elle se fond parfois sous les guitares. Le mixage reste cependant correct et les riffs nous étouffent tels la chaleur de l’enfer ou, au choix, de l’été floridien. Violence, blasphèmes, blasts et riffs démoniaques, Deicide nous sert le parfait café gourmand pour terminer l’édition 2016 du Hellfest.