ANR : Lors de la dernière interview, vous aviez dit que les fans n’avaient pas apprécié l’album acoustique autant que la critique. Est-ce que pour cet album, Straight out of hell, vous avez déjà un retour ?
Andi Deris : Et bien, il s’agit d’un album métal, donc pas de problème. Pour le moment les réactions sont très bonnes, ce qui m’effraie toujours un peu. Mais si les gens l’aiment de la même façon que, par exemple, mon fils et ses amis, même s’ils ne font pas partie de la press
e ou des médias, alors ils l’aimeront beaucoup. Alors j’espère qu’il est bien. C’est un peu crispant d’attendre, let’s wait and see !
ANR : La première chanson de l’album est Nabatea, comment avez-vous connu ce royaume de Nabatea ?
Andi Deris : En fait, je suis un fan d’Indiana Jones, et dans le 3ème volet, une scène se passe en face de cette sorte de cathédrale sculptée dans cette montagne rouge. Je me suis dit que ce n’était pas un décor d’Hollywood, ça faisait trop vrai, ça devait être vrai ! Du coup, je me suis renseigné en bibliothèque, sur Google et au bout d’un moment, après avoir revu le film 3 fois, j’ai enfin découvert que c’était Petra, la métropole de Nabatea. Ensuite j’ai lu l’histoire, il s’agissait d’un mythe, comme l’Atlantide et jusqu’à récemment, tout le monde pensait que c’était un mythe, trop beau pour être vrai. Ce que j’ai appris, c’est que c’était une ancienne nation, démocratique, sans roi, ni dictateur, sans armée, sans soldats. Ils n’ont jamais attaqué un autre pays, ils n’avaient pas d’esclaves et pourtant ils vivaient dans l’abondance. Ca paraissait trop beau pour être vrai, mais c’était vrai. Petra a été découverte au début du 20ème siècle je crois, dans le désert jordanien. Quand ils ont découvert la métropole, il s’est avéré que Nabatea avait réellement existé 2000 ou 3000 ans en arrière. Alors qui sommes-nous exactement pour nous croire, au 21ème, la Civilisation ? Europe ! Whoaa ! America !! Whoaa ! Conneries ! Ils étaient là 3000 ans auparavant. Et qu’est-ce qui s’est passé ? Les voisins ont décidé qu’ils ne pouvaient pas vivre comme ça, qu’ils devaient les détruire. Avidité, jalousie… Les Romains sont arrivés, avec Hérode, Petra est tombée et est devenue un mythe pour les livres d’histoire. Personne ne croyait que c’était vrai. La mauvaise nouvelle, c’est que l’espèce humaine n’a pas changé. Même dans l’histoire récente, les derniers siècles, de l’Eglise Catholique aux Indiens, en passant par les Guerres Mondiales, toute cette merde, vraiment, nous n’avons pas changé. C’est toujours la même merde qui continue.
En tous cas, l’histoire de Nabatea a 3000 ans et actuellement on est dans une des pires périodes d’avidité de l’histoire de l’Humanité. Selon moi, la civilisation est bien plus ancienne que 5000 ou 6000 ans. Je pense qu’il y a peut-être eu plusieurs civilisations, 80 000, 90 000 ou 100 000 ans auparavant, mais dont il n’y a plus trace.
Peut-être accidentellement, comme pour Petra. Mais Petra n’est pas aussi ancienne. Si on remontait vraiment dans le temps, 50 000 ans en arrière on retrouverait de grandes civilisations.
ANR : En Amérique du Sud par exemple ?
Andi Deris : Oui ou ailleurs. Depuis que j’ai appris que Nabatea n’était pas un mythe, j’ai commencé à regarder le mythe de l’Atlantide différemment. Peut-être que ce n’est pas un mythe. Un jour ou l’autre on découvrira où ça se trouve. 2 kilomètres sous l’Atlantique, on ne sait jamais ! Et ce sera peut-être par accident qu’on trouvera la preuve. Quelqu’un cherchant du pétrole, ce serait la raison typique du 21ème siècle : trouver quelque chose parce qu’on creusait pour trouver du pétrole. Et on tombe accidentellement sur la Pierre de Rosette de l’Atlantide sous 1832 m de profondeur.
ANR : Alors c’est votre genre de sources d’inspiration, les mythes, les histoires de ce type ?
Andi Deris : Oui, le mythe de Nabatea colle tout à fait au concept de… disons au concept de l’enfoiré. Les chansons Asshole, Church Breaks Down, Wanna be God, sont connectées en termes de paroles. Il s’agit de la nouvelle église qui arrive. Avec la mondialisation, les banques sont la nouvelle religion, l’argent est le nouveau dieu, et les prêtres sont les banquiers et les managers. C’est notre époque, le 21ème siècle. Bienvenue sur Terre !
Il y a bien un concept, en termes de paroles, mais pas intentionnellement. Toutes les paroles tournent autour du sujet d’une nouvelle religion. 
ANR : Justement, j’avais une question à propos de la chanson Asshole : j’ai été surprise par le ton de cette chanson, très en colère. Pouvez-vous nous en dire plus à propos de cette chanson?
Andi Deris : C’est une chanson de Sascha. Il a écrit les paroles après une discussion dans le bus de la tournée. Tout le monde a son opinion. Je pense que la principale maladie de ce siècle est qu’il n’y a plus de morale, ni d’éthique, et un manque de communication et d’éducation. Ce sont surement les principales raisons pour lesquelles tout s’effondre. Beaucoup de gens pensent qu’on est arrivés au fond du gouffre. Moi je ne pense pas. Je pense qu’on fait de la chute libre et qu’on tombera bien plus bas. Et cela uniquement parce que les responsables, ou plutôt les gens qui devraient être responsables, ne font plus preuve de responsabilité. Ethique, on est obligés d’aller dans un dictionnaire, ou même dans Google pour trouver ce que ce mot veut dire ! Ça n’existe plus désormais.
Disons qu’auparavant, les gens qui avaient des responsabilités se rendaient compte que chacune de leurs décisions pouvaient détruire des vies, des familles. Maintenant, ce n’est plus le cas.
Un manager qui vend une maison à quelqu’un peut la vendre 30% plus cher juste pour toucher plus de commission. C’est le monde dans lequel on vit. Il sait très bien que si l’acheteur perd son boulot il ne pourra plus payer les traites et se retrouvera sous un pont avec toute sa famille. Mais il vend quand même l’acheteur au diable juste pour toucher sa stupide petite commission. Le prix pour la ruine d’une famille entière est devenu très bon marché. C’était beaucoup plus élevé auparavant.
Ce que je veux dire, c’est qu’il y a des années il y avait les mêmes enfoirés, mais au moins ils se faisaient plus d’argent en vendant la peau des gens et de toute leur famille. C’est quelque chose qui m’inquiète beaucoup. Le prix a chuté, le prix d’une vie est bas, le prix pour envoyer une famille entière en enfer, délibérément, est bas également. La morale et l’éthique ont échoué.
ANR : Et vous ne pensez pas que des mouvements comme Occupy Wall Street…
Andi Deris : Ca aidera, certainement, mais je crois que le monde ne changera pas pour le meilleur tant qu’une nouvelle génération ne prendra pas complètement le pouvoir. Il y a toute une génération de gens qui ont 22, 23 ans pour l’instant, donc ça prendra au moins 20 ans avant qu’ils prennent le pouvoir et deviennent les décideurs. Mais avant ça, je ne vois que des enfoirés avides.
ANR : Peut-être qu’ils changeront le monde, mais peut-être qu’ils se couleront dans le moule.
Andi Deris : Peut-être qu’ils s’adapteront. On a vu ça souvent : des gens qui viennent sauver le monde, et aussitôt qu’ils sont assis devant leur maison très chère, ils sont prêts à vendre le monde. On ne sait jamais. Mais le monde dans lequel on vit à l’heure actuel est stupide : le peuple devrait avoir le pouvoir. On est tous interconnectés avec le web, le monde pourrait être un endroit génial. Et il ne manque pas grand-chose pour que ça le soit, sans ces enfoirés qui ruinent tout. C’est quelque chose que je ne comprends pas. Enfin, je comprends, techniquement, mais en même temps, je ne comprends pas pourquoi on ne se débarrasse pas de ces enfoirés. Par exemple, l’Europe est forte, tant que nous croyons tous en la même chose, que nous faisons la même chose, nous sommes forts, nous pouvons réaliser pleins de choses en tant qu’unité. Et nous agissons comme une unité très souvent. Mais pourtant pas assez. En tant qu’Européens, je ne parle pas en tant qu’Allemand, mais en tant qu’Européens, tant qu’on ne balaiera pas devant notre porte, on n’a pas le droit d’aller au dehors, d’envoyer nos troupes dans d’autres pays. Maintenant je parle en tant qu’Allemand : pourquoi devrait-on faire ça, Français, Allemands, alors qu’on est dans la merde ici ? Ok je connais la réponse : parce que quand on fait ça, les gens regardent là-bas et pas les problèmes à l’intérieur. Mais c’est un vieux truc. Je n’arrive pas à croire qu’on l’utilise encore.
ANR : C’est parce que ça marche encore !
Andi Deris : En effet. Mais je crois qu’il y a quand même une lumière au bout du tunnel. Mais je ne suis pas d’accord avec les gens qui disent qu’on a touché le fond. Je crois qu’on est encore en train de tomber.
ANR : Alors, pour revenir à la musique
Andi Deris : Mais c’est la musique, c’est ce qu’il y a dans les paroles… ah ah ah !
ANR : Ah oui ! Bon alors, précédemment vous avez dit être un bon musicien, que vous pouviez jouer acoustique, live… Est-ce que vous pensez que vous avez encore des choses à apprendre ?
Andi Deris : Toujours, toujours ! Le jour où j’arrête d’apprendre, ça voudra dire que je n’ai plus envie de continuer la musique. Ça vaut pour tout le monde, dans tous les domaines. Quand on arrête d’apprendre, c’est qu’on a perdu la curiosité. Ce que je veux dire, c’est que personne ne peut être parfait. Ce serait un mensonge. Même le mec le plus génial. Même Einstein n’a jamais été parfait. Il partait d’incroyablement haut, mais il savait qu’il n’était pas parfait. Pour ses formules par exemple, il avait besoin d’aide. Il y a un processus constant d’apprentissage qui rend les choses intéressantes.
D’un autre côté, les mauvais jours on se dit qu’on ne sera jamais assez bon. Mais honnêtement, ça rend les choses vraiment plus intéressantes. Quand on ouvre une nouvelle porte et qu’on sait que cette porte ouvre sur d’autres portes qu’on pourra passer, c’est excellent ! Imaginons qu’un jour on sache tout. Et bien ce jour-là on peut se tuer, parce que c’est fini. C’est ce que je pense. Pour moi c’est la même chose pour les rêves. Quand on arrête de rêver, on arrête de vivre. C’est une autre chose que les gens ne comprennent pas. Quand on n’a pas de rêves… D’ailleurs, c’est peut-être la raison pour laquelle tant de super-riches se suicident… parce qu’ils n’ont pas de rêves. Peut-être qu’ils n’ont jamais su ce que c’était qu’un rêve. A chaque fois qu’ils ont envie de quelque chose, ils sortent et vont se l’acheter. Tout le monde a besoin de rêver. On a tous des rêves et on espère tous que quelqu’un va les combler. A la fois, ça ne te fait pas peur qu’un jour tes rêves soient complètement réalisés ? Personnellement ça me fait peur, que ce jour-là arrive. Imagine, je perdrais ce rêve ! Ce qui te maintient vivant, qui te fait avancer, soudain, ça se réalise. Et alors, qu’est-ce qu’il y a après ? C’est la vie, probablement…
ANR : Je pense qu’il y a toujours autre chose…
Andi Deris : Peut-être qu’on devrait demander à tous ces enfoirés de managers… Je ne sais pas… Ils ont probablement concrétisé tellement de rêves que tout ce qui leur reste c’est « plus, plus plus ! ». Et ce n’est pas satisfaisant, ça ne rend pas heureux. Quand on a 2 millions, le 3ème ne rend pas plus heureux. Et 100 millions non plus.
ANR : Est-ce qu’il y a des choses que vous voulez expérimenter musicalement ?
Andi Deris : Oui, toujours ! Il y a pleins de nouveaux groupes. Le dernier groupe qui m’a influencé, c’était Korn, ensuite Deftones. Et puis je suis revenu au Métal Old School, je me suis dit qu’il n’y avait rien de mal à sous-accorder un peu la guitare, pourquoi pas ! Après tout on est au 21ème siècle, essayons ! Parfois ça colle parfaitement. Et pourquoi pas envoyer chier la loi de l’harmonie ? Qui a dit que le triton (l’intervalle de quarte augmenté ndlt) était le diable ? Seulement l’Eglise catholique !
Il y a tellement de choses ! Mahler ! Tu connais Mahler ? C’est du classique, ça dépend des goûts, néanmoins, ça c’est intéressant ! Quand on parle de sensations spectaculaires, tu écoutes Mahler, tu fermes les yeux et hop ! Frissons garantis ! Parce que ses harmoniques sont complètement folles. Les livres d’école diraient : « Non ! Jamais ! ». Mais ça marche ! Et ça m’intéresse beaucoup.
Des nouveaux sons, de nouvelles techniques, des amplis, de nouvelles pièces de guitares Tout ça donne de nouveaux sons, qui peuvent donner de nouvelles idées : « je pourrais faire ça : ah non, ça ne marche pas. Ou alors ça : là ça marche ! ».
C’est comme les puzzles ! Voilà à quoi ça ressemble de faire de la musique !
ANR : Est-ce que vous vous rappelez, lors de la dernière interview avec Art n’Roll, vous nous aviez dit que vous essayiez de faire du whisky ?
Andi Deris : Oui j’ai essayé deux, trois fois ! J’ai fait un truc que je pourrais presque appeler whisky ! Moi je trouvais que ce n’était pas mal, mes amis pensaient que ça ne ressemblait à rien ! Dixit Charlie : « Qui boirait cette merde ?? ». Mais je vais y arriver ! Je devrais demander à mon père, parce que faire du whisky n’est pas si éloigné de la fabrication de la bière. Il aura peut-être des trucs à me donner.
Je trouve que mon whisky ressemble à de la grappa, de la mauvaise grappa.
ANR : Beaucoup de vos fans veulent savoir : Are you metal ?
Andi Deris : La plupart du temps : oui. Juste après avoir produit un album, non. J’ai besoin de fermer mes oreilles, je n’ai plus envie d’entendre de guitares, ni quoi que ce soit. Honnêtement, je n’ai plus envie d’écouter quoi que ce soit, même de la musique classique. J’ai juste envie de vacances, peut-être des oiseaux mais pas de musique. Pour moi c’est doublement stressant. Les gars enregistrent dans mon studio qui est aussi ma maison. Je vis au premier et le studio est au rez-de-chaussée, donc je suis constamment en cours de production. Ce qui est une erreur. Parfois, je devrais dire « Bye bye, je m’en vais au sud de l’ile, en vacances », juste pour me nettoyer les oreilles. Jusqu’à présent je ne l’ai pas fait. La prochaine fois peut-être.
